Napoleon Da Legend, le dernier glacier

Napoleon Da Legend, Karim pour l'état civil a eu plusieurs vies. L'une du côté américain de l'océan Atlantique, l'autre du côté français. Et l'artiste s'exprime dans les deux langues. Il réussit le rare exploit d'être aussi bon dans l'une, que l'autre. Son dernier album le dernier glacier, entièrement produit par lui-même et rappé dans la langue de Molière est d'ores et déjà voué à devenir un grand classique du rap en France. Entretien avec un géant, en français dans le texte.

"Je suis un MC, un rappeur, un artiste, bilingue"

Napoleon Da Legend, comment vas-tu ? Qu’est-ce qui t’anime ces jours-ci ?

Ça va très bien, merci. C’est toujours la musique tu sais. Mes projets musicaux, c’est ça qui m’anime tous les jours. C’est ça qui me motive pour me réveiller le matin. Toujours la musique.

De plus en plus, on t’entends en France avec de nombreuses collaborations avec des artistes français mais aussi pour le fait que tu ais switché pour rapper en langue française. Pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore, comment voudrais-tu te présenter à eux ? Qui es-tu ?

Je suis un MC, un rappeur, un artiste, bilingue… à la base j’étais un rappeur américain et je ne pensais pas à m’exprimer en français de cette manière. J’aime essayer différentes choses et j’ai remarqué que depuis que j’avais fait une tournée en 2017, j’avais fait beaucoup de villes en France et j’ai créé des liens et des amitiés avec des gens dans différentes villes. Que ce soit Paris, Mulhouse etc, et je me suis de  plus en plus exprimé en français et j’ai décidé d’essayer et ça m’a plu, c’est aussi simple que ça. C’est comme si j’avais les mêmes émotions que les premières fois où j’écrivais des textes. Après mon parcours, car je rappe depuis des décennies maintenant, c’est cool d’avoir ce feeling car j’avais aussi la pression de toujours faire la même chose et là c’est quelque chose de nouveau pour moi. Ça stimule mon cerveau d’une autre manière.

Et donc tu es d’origine comorienne et né en France.

Oui c’est ça, mes deux parents sont comoriens, plus précisément mon père est anjouanais et ma mère est mahoraise. Je suis né en France et on a émigré en Amérique, notamment Washington DC et dans le Maryland quand j’avais quatre ans.

Un petit mot sur le choix de ton pseudonyme. Pour les français il renvoie forcément à Napoléon Bonaparte qui était un personnage historique, à la fois connu de tous et controversé. C’est un nom qui dénote avec l’humilité qui se dégage de ta personnalité et de ta musique. Y a-t-il un sens à ce paradoxe ?

C’est en fait un surnom qu’on m’avait donné à Washington quand je jouais au basket. Tu sais les Américains on a tous des surnoms. Je jouais au basket avec des géants et j’étais petit de taille et j’avais une manière très agressive de jouer, je chambrais beaucoup les gens etc. Ma manière de jouer ne correspondait pas avec ma taille. On m’appelait Napoleon et quand j’ai commencé à rapper je disais ça et j’ai rajouté Da Legend car je trouvais que ça avait un bon sens et que je réécrivais mon histoire en quelque sorte. J’ai dû l’assumer et dans le rap, qui est aussi un sport compétitif comme le basket. C’est ça mon esprit. Tu as dit que j’avais de l’humilité personnellement quand tu me vois mais quand je suis au micro ce n’est pas souvent le cas. Ça dépend des chansons mais j’ai aussi un esprit très compétitif et il le faut pour survivre dans ce milieu. A l’époque où j’ai commencé si tu ne savais pas rapper, tu fous le camp, les gens ne voulaient pas t’entendre. J’ai fais des battles c’était très compétitif, je faisais des featuring avec des rappeurs c’est compétitif, si tu n’es pas assez bon on t’enlevait des chansons etc etc. C’était mon école et ça mettait une certaine pression sur moi et peut-être sur les autres quand ils entendaient mon nom, je ne sais pas. Je n’étais pas là pour blaguer mais pour tout déchirer. Mais sur son histoire, je ne suis pas Napoléon Bonaparte, moi je n’ai tué personne, je n’ai réduit personne en esclavage. Je suis contre ça surtout et je milite pour les causes africaines depuis longtemps. C’est aussi le paradoxe de la vie, rien n’est jamais une ligne droite, je pense que c’est plutôt ça.

 


Les paradoxes et les nuances font les richesses de la vie.

Ce qui m’a permis de survivre dans ce milieu où il faut, je ne sais pas si c’est le bon mot mais où il faut être une brute, il faut être brutal, dur. Historiquement c’est ce que les gens n’aiment pas chez Napoléon. Quelque part j’ai utilisé ses armes mais d’une manière positive car je fais de la musique. Je contribue à une belle culture qui m’a aussi sauvé la vie.

Pour faire un petit retour en arrière, tu parlais de la scène dans laquelle tu évoluais à tes débuts. Tu as fait partie d’un groupe qui s’appelait Dysfunkshunal Familee. Parle nous de la scène new-yorkaise dans laquelle tu évoluais. Tu gravitais dans quelles sphères à cette époque ?

 Je suis arrivé à New York en 2012, à Brooklyn. J’avais quelques amis, je trainais beaucoup avec Crazy Al Cayne. Quand je vivais encore à Washington, il m’avait interviewé, on est resté potes, il a filmé quelques clips de moi, on a fait une mixtape ensemble. On avait une émission ensemble qui s’appelait spittin in da wip, on utilisait ma voiture, on mettait les rappeurs à l’arrière, on les interviewait et les rappeurs rappait sur des instrus. Quand j’étais, d’abord invité dans l’émission, j’étais le premier à rapper tellement longtemps jusqu’à ce que son instru s’arrête alors que les autres ne faisaient que 16 mesures. Cette émission a fini sur BET, c’est la première fois que je passais à la télé. On est resté amis et j’ai rencontré beaucoup d’artistes car après c’est moi qui conduisais la voiture dans beaucoup d’épisodes (rires). Après on allait en soirée ensemble, on prenait des photos et j’ai rencontré Duckdown James qui travaillait pour Sean Price et il m’invitait dans toutes les soirées hip-hop. Un soir il y a Bazarro de Dysfunkshunal Familee, et l’un de leur membre n’était pas venu alors il m’a demandé de monter sur scène avec lui et j’ai dû donner une bonne prestation car il m’a ensuite demandé de faire partie du groupe. Crazy Dj Bazarro, c’est l’un des premiers qui m’a envoyé des instrus. Tu sais il y a plein de gens qui te voient sur scène, ils te kiffent et après tu ne les entends plus et il ne se passe rien mais Bazarro, le lendemain m’avait déjà envoyé une instru par mail. J’ai tout de suite commencé à enregistrer et je crois qu’il a aimé mon énergie car j’étais motivé. Ca a démarré beaucoup de choses, j’ai créé des liens avec les Beatminerz notamment et beaucoup de mc’s.

Si j’ai bonne mémoire, un certain Hastyle était membre du groupe Dysfunkshunal Familee?

Quand j’ai rejoins le groupe, Hastyle n’en faisait pas encore partie. Tu vois Dysfunkshunal Fam, c’est comme le nom du groupe Dys-functional Fa-mily. Il y a des membres qui sont partis et qui sont revenus. Quand je suis arrivé, il y a en a qui sont partis et sont maintenant revenus, comme Grey Wolf. Et Hastyle est venu un peu plus tard mais je ne le connaissais pas, la plupart des rappeurs du groupe venaient de Brooklyn, Crazy Dj Bazarro est basé sur Bushwick mais Hastyle vient du Queens, à Flushing. Il est venu après moi. Hastyle est cool et il a un style de rap non orthodoxe.


"C'est une lettre d'amour pour la culture hip-hop"


Alors, à l’heure où on se parle il y a ton tout nouveau titre qui s’appelle hypothermie qui vient de sortir que tu as enregistré avec Dj Djel de la Fonky Family. Un mot sur ce titre et sur le projet dont il est extrait ?

Après ma première interview en français sur un média comorien, j’ai eu plein de vues, plus de 100.000 vues en quelques jours donc je me suis dit tiens il se passe quelque chose. Quand je communique en français, il y a quelque chose qui se passe. Donc je me suis demandé si je pouvais vraiment rapper en français, si j’en étais capable. J’ai alors écrit ma première chanson en français qui s’appelle de rien et j’ai kiffé, j’ai vu que j’arrivais à le faire. C’était un peu différent à cause de mon accent notamment mais j’ai eu l’envie de faire un album en français. Peut-être était-il intéressant que je raconte mon histoire, j’ai vécu et grandit en Amérique et je ne pense pas qu’on ait déjà raconté ce genre d’histoire en français. Je me suis dit que cette histoire avait peut-être sa place quelque part dans notre culture, celle de quelqu’un qui grandit en Amérique, dans le rap américain mais qui la raconte en français. Je voulais produire cet album et je savais que je voulais demander à Djel s’il voulait bien faire des scratches sur une des chansons. Je lui ai proposé hypothermie, j’avais déjà écrit les couplets, il a enregistré les scratches et c’était juste magnifique. Cet album sortira le 7 avril 2023 et s’appellera Le dernier glacier. Le thème est le froid, le changement climatique. J’ai des featuring intéressants dessus, des gens comme Akhenaton, Alonzo, Dany Dan, Solo, Ali de Lunatic, Tiwony. Je me dis que ces gens sont comme des glaciers, des icones, ils ne seront plus là un jour. On ne doit rien considérer comme étant acquis. Une fois qu’ils disparaitront…le glacier ne va pas revenir en fait. Même dans notre vie, nous devons faire les choses tant que nous sommes là car nous sommes en train de fondre sans même nous en rendre compte. La vie est éphémère. C’est une métaphore pour la vie. Nous avons une certaine culture et une certaine perception de cette culture et lorsque nous ne serons plus là, même si ça revient les choses seront différentes. Il faut valoriser ça. C’est une lettre d’amour pour la culture hip-hop et pour le hip-hop français car j’adore ça depuis que je suis jeune.

C’est aussi une lettre d’amour à la vie…

Exactement, il y aussi le changement climatique, les glaciers fondent vraiment. C’est un rappel à tout ça et le thème était le froid parce que bien que je sois comorien et un enfant des îles, j’ai toujours vécu dans des villes au nord où il fait  froid et moi je n’aime pas le froid, je préfère le soleil. C’est mon expérience de vie.

Tu fais beauacoup de références historiques, géopolitiques et littéraires dans tes lyrics, tu cites Bob Denard , ce n’est pas une référence évidente pour le grand public, tu fais aussi référence à Balzac, ce qui est très atypique dans le rap français. Quel est ton rapport à ces domaines et de quelle manière nourrissent-ils ta musique ?

Déjà, quand je rappe en anglais, je fais la même chose. J’aime insérer ce que j’ai entendu et lu. Je trouve que c’est stylé. Et ça reste hip-hop que de le faire. Comme tu dis Bob Denard n’est pas une référence que tout le monde peut connaitre mais c’est quelqu’un de très important dans l’histoire des Comores et les gens doivent connaitre cette histoire. Il a semé la panique en Afrique. Dans le rap américain il y en a qui parlent de Krishnamurti etc. Quand j’étais jeune je ne savais pas qui il était. Ca m’a informé, m’a rendu curieux. C’est cette tradition que je continue à transmettre. Quelqu’un comme Balzac ou Voltaire font partie de notre culture à tous. La France a une culture très riche. Alors pourquoi ne pas faire le lien ? Nous rappeurs, faisons aussi de la littérature. C’est peut-être arrogant de dire ça mais nous transmettons les mêmes idées, la même philosophie.

Rapport au fait que tu évoquais le changement climatique, c’est évidemment un des enjeux actuels majeurs, quelle est pour toi la place d’un artiste dans nos sociétés et quelles sont ses responsabilités ?

(rires) C’est une bonne question…Être un artiste, au sens propre du terme, c’est être libre. Alors a-t-il une place dans notre société ? Ce n’est pas l’artiste mais l’individu qui décide quelle est sa place. Il n’y a pas forcément besoin d’avoir une place de dénonciateur ou de forcément prendre position. C’est le choix de tout un chacun. En ce qui me concerne, Napoleon Da Legend est un personnage en soi et il se peut qu’il ne soit pas toujours en phase avec qui je suis. Mais j’essaie d’être moi-même et j’essaie d’amener dans le débat des choses qui me tiennent à cœur. Quand je parle de la politique ou de la société je ne veux rien forcer, ce sont simplement des choses qui me passent par la tête. C’est important pour moi de transmettre mon message et mon point de vue sur la vie. Il y en a certains qui ne le font pas et ils ont le droit. J’ai des divers styles de chansons et des affinités très variées, même dans des textes plus egotrip, je parle de géopolitique etc car ce sont des trucs qui m’intéressent. C’est ce que j’aime avec le hip-hop, je ne force rien. C’est une musique que tu écoutes quand tu prends le métro et ça t’emmène dans un autre monde. On peut parler de tout, de maladie, de politique, de n’importe quoi. J’aime cette liberté dans le rap. Mais dire quelle est la place d’un artiste, ce n’est pas ma place de le dire. C’est bien qu’un artiste soit libre, j’aime les artistes qui prennent position et j’aime aussi les artistes qui s’en fouttent


En parlant d’artistes qui prennent position, parlons d’un grand artiste qui se positionne lui depuis de nombreuses années. Parlons un peu d’Akhenaton car tu as fait ton entrée dans le paysage du rap français avec trois ep’s consécutifs avec lui. Parle nous de ta collaboration et de ta relation avec lui.

Akhenaton est un grand homme. C’est un mentor, c’est un grand frère. Je suis fan de lui déjà, j’ai grandi en écoutant la musique d’IAM, c’est un de mes rappeurs préférés. Je l’avais rencontré en 2018 je pense, on m’avait invité à un concert d’IAM à New York. C’était un des meilleurs concerts que je n’ai jamais vu de ma vie. Je ne savais même pas en y allant que j’allais le rencontrer, j’ai eu de la chance, après le concert Said m’a tout de suite présenté à Chill (Akhenaton). Il m’a dit qu’il aimait bien ma musique, j’étais surpris car je ne savais même pas qu’il me connaissait. Ensuite je remercie Aneeway Jones car il a sorti le projet Sfumato avec AKH , il m’a envoyé un message en me disant qu’Akhenaton m’avait suggéré comme featuring dessus. Au début je ne le croyais pas, je croyais qu’il disait ça pour gratter un couplet ou un truc comme ça. Puis il m’a montré le morceau et en effet il y avait bien AKH dessus ! C’est donc un truc qui a commencé la relation puis CHill m’a invité sur son album Astéroïdes puis il m’a proposé de me produire un projet mais on a enregistré tellement de titres qu’on a décidé de le sortir en trois ep’s. C’est aussi là ou j’ai commencé à avoir envie de faire un album en français.

Je m’entends bien avec Akhenaton, nous avons une belle relation d’artiste, on échange, on se propose des idées. Ce que j’aime bien avec lui, c’est qu’il est tellement en haut mais il y a toujours une complémentarité et un respect entre nous et c’est ça qui fait que nous pouvons faire de la bonne musique. Bien qu’il soit une icône, j’ai l’impression que nous sommes égaux et il y a une fraternité et ça me touche beaucoup. Parfois tu rencontres des artistes qui te regardent de haut mais ça n’a jamais été le cas avec lui. Quand le contact passe bien au niveau humain, la musique est meilleure.

Tu as donc sorti ces trois ep’s avec Akhenaton en tant que producteur mais  tu as aussi sorti de nombreux autres projets avec un seul producteur notamment avec Giallo Point ou Amerigo Gazaway. C’est quelque chose que tu affectionnes particulièrement, les projet 1 rappeur / 1 producteur ? Dans quelle mesure cela change-t-il la conception d’un projet ?

J’aime beaucoup ça, d’ailleurs avec Giallo Point nous en avons 4 ensemble. J’aime la cohérence que cela apporte car si par exemple tu reçois des instrus de 7 différents producteurs, c’est bien aussi mais ça peut aller dans tous les sens. Mais c’est intéressant de travailler avec l’univers sonore qu’un producteur crée. C’est aussi plus facile pour la communication, nor-male-ment (rires). J’ai déjà eu des soucis, mais j’apprends. Mais c’est plus facile de ne parler qu’avec une seule personne. C’est aussi plus facile en termes de business. Avec un producteur c’est fifty fifty, tout simplement. C’est plus facile et plus cohérent quand tu t’entends bien avec le producteur.


Un petit mot sur la suite ? Quels sont tes projets à venir et que peut-on te souhaiter ?

Le projet qui me tient vraiment à cœur c’est mon album le dernier glacier (sorti le 7 avril 2023). IL y a vraiment des piliers du hip-hop français dessus. Je n’arrive même pas à croire qu’ils ont répondu présent pour moi. Pour moi c’est comme un premier album et je ne vois pas au-delà de ça pour le rap français en tout cas. Quand un projet sort je suis déjà sur le prochain. Next. J’ai aussi un projet avec un producteur de Washington DC qui s’appelle J Scienide, un album avec D-Styles des Invisibl Scratch Picklz qui est terminé et sur le point de sortir. Un projet avec DJ Rhettmatic des Beat Junkies aussi. Un autre avec Crazy DJ Bazarro. Aussi des projets produits par moi, dans la série où je sample la musique des anime japonais. Et j’en oublie. Aussi Wax Taylor m’a invité sur sa tournée européenne.

Ok, si tu étais un rappeur, à part Napoleon Da Legend ?

Nas.

Un producteur ?

J’ai l’impression de dire des trucs trop clichés. Dj Premier.

Un album, tous styles confondus ?

C’est une bonne question. You know what ? Miseducation of  Lauryn Hill.

Un film?

Tenet, tu l’as vu? C’est un bon film.

Un écrivain ?

Gimme a second gimme a second. Pas facile. Je lis beaucoup en plus. Je lis beaucoup de biographies sur les artistes alors je dirais David Ritz. Il a écrit notamment les biographies de Marvin Gaye, Ray Charles. Aretha Franklyn. J’aime beaucoup comme il écrit.

Un animal ?

Un tigre.

Une destination ?

Planète Mars.

Merci infiniment, Karim.

Merci à toi, je suis content ça me fait plaisir qu’on puisse faire ça après tout ce qu’il s’est passé, tu as passé une sacrée aventure. Je vais te dire un secret, mais tu dois me promettre que tu ne le répète pas…

Propos recueillis par Sullivan Lépine à Crolles le 3 mars 2023